Les origines

LE BERCEAU DE LA FAMILLE, SAINT GEORGES D’ESPERANCHE

(texte de 1938 probablement de J. Chaperon)

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Grosse et antique bourgade dauphinoise, aux confins nord-est de l’ancienne Principauté des puissants Archevêques de Vienne, Saint-Georges d’Espéranche est un large troupeau de vieilles demeures grises et terreuses éparpillées sous la blanche houlette d’un élégant clocher moderne, en quatre ou cinq rangées parallèles plus ou moins rectilignes, le long d’un versant onduleux, parmi des bouquets de verdure où chante, comme un géranium, le rouge vif de la tuile romaine. L’artère centrale ou Grand’Rue descend de la belle place ombragée de nombreux platanes, ancien boulevard du château-fort des Marquis de Levis, vers ce moyenâgeux « Font-de-Ville » qui fut pendant des siècles l’inexpugnable cité abbatiale des moines Antonins, rivaux redoutables du seigneur local. Près de la Grand’Place les vestiges de l’ancien manoir seigneurial sont occupés, aujourd’hui (1938) par des religieuses sécularisées et leur Ecole. D’un côté, les fondations de granit baignent encore plus dans l’eau stagnante du fossé d’enceinte d’où l’exubérante végétation des saules s’élance le long des murailles pour aller étendre sur les toitures ses frondaisons argentées. En sortant du village, dans la direction de Moidieu, une route oblique longe ce fossé transformé en mare verdâtre. Puis, ayant dépassé un petit donjon de construction récente, elle devient un simple chemin agricole qui s’en va, entre des haies chantantes vers la région la plus fertile du territoire communal. Les noms très anciens des quartiers desservis par ce chemin rural évoquent, comme « Fromenteau » les belles moissons, « Revoireau » les plantureuses fenaisons d’automne, et « Servanin » la précieuse conservation des céréales dans les granges. Partout où les yeux se promènent, sur l’ondoiement délicat et frissonnant des plateaux herbeux ou sur le moutonnement des petits mamelons cultivés avec une laborieuse attention on se sent séduit par les formes opulentes de ce sol nourricier qui depuis plusieurs millénaires fournit aux humains toute la substance de leur être. Le long des coteaux, de blonds sentiers, tendus ainsi que des cordes minces flottent d’une ferme à l’autre, tantôt en suivant une procession de peupliers ou de châtaigniers, tantôt en musardant entre des buissons touffus, baignés de lumière verte. A l’abri de ces églantiers ou aubépins, suivant la saison, le petit cœur d’une fraise saigne dans le gazon, la noisette tendre s’y cache sous une coque verte, acide à la langue, le champignon bagué y bombe son chapeau mexicain, on frôle le nid bas d’un rossignol dont les petits duveteux s’inquiètent d’un regard, on relance une pie dont la flèche de deuil traverse le ciel comme un signe augural. Quand les feuillages fins à portée de l’oreille cessent leur murmure on approche d’une humble maison en pisé nu, sans crépissage, assise à flanc de coteau, au bord d’une cour d’où elle voit monter vers elle l’armée pacifique des blés. Cette antique demeure paysanne fait risette à de vieux arbres qui la câlinent avec le frôlement soyeux de leurs ombrages. Son toit roux, tâché de vertes plaques mousseuses et ses murs lézardés racontent leur lutte séculaire contre les hivers, contre les vents mystérieux, le froid, la pluie, la grêle ou la neige. Elle est le grand manteau solide épais, impénétrable qui n’a cessé d’envelopper à travers les âges les générations d’une même famille de travailleurs. C’est là qu’avait grandi Germain Morel, père de la fondatrice de « Notre Montagne ».

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