La Lavande dans nos montagnes

lavande-coupee 

(Article Azur de France) 1934

  Comme chaque année en cette saison, la moisson de la lavande bat son plein. La fleur parfumée de nos montagnes atteint, en ce moment, des prix qu’elle n’avait plus connu depuis longtemps. On nous dit qu’elle se vend 1franc10 le kilo à la Bâtie-de-Peyroules.

Dès la pointe de l’aurore, par équipes ou isolés, les alertes cueilleurs et leurs rieuses compagnes s’en vont, la faucille à la main, sur les crêtes ou à travers les pentes escarpées de nos collines, moissonner l’odorante fleur bleue mauve qui pullule comme les épis dans un champ de blé. Prestement, les sacs ou les draps de corde se remplissent de cette herbe solide au parfum lourd et pénétrant.

Puis, quand midi approche, à dos d’homme ou de mulet, ou bien sur des charrettes, la récolte est emportée au village vers les granges dans lesquelles les grands parfumeurs ont établi un dépôt de livraison. Là, les fonctionnaires improvisés pèsent et paient la provision de chacun. Et, à mesure, ils chargent  des camions qui, le soir venu, filent  vers Grasse ou vers Barrême, laissant sur la route un long sillage d’odeur violente et capiteuse.

Jusqu’à ces dernières années, la fleur de nos montagnes n’allait pas si loin pour exhaler  son huile bienfaisante.

On voyait alors, de place en place, dans les prairies, au bord d’un ruisseau à l’ombre, des aunes ou des peupliers, à côté d’une hutte, un gros alambic posé sur des pierres comme les marmites des soldats en manœuvres. Au-dessous, un bon feu de branches de pins flambait sans s’éteindre, ni la nuit, ni le jour. Cette rustique cornue en cuivre rouge et brillant était munie d’un chapiteau étamé.

Le distillateur, un homme du pays, la remplissait avec les épis fleuris de la lavande, il ajoutait de l’eau. Il couvrait hermétiquement avec le chapiteau et il faisait bouillir. Peu à peu, l’essence s’écoulait par un mince filet dans une grande bouteille en verre. Après avoir recueilli la quantité que peut donner une charge, ce chimiste primitif vidait l’alambic et le remplissait de nouvelles fleurs pour recommencer la distillation. Cette opération parfumée durait une partie de l’été jusqu’à la fin de la floraison.

Il en fut ainsi pendant des siècles probablement depuis l’occupation de nos montagnes par les Sarrasins, inventeurs de l’alambic.

Avant eux ?  Les Gallo-Romains et les Celto-Ligures appréciaient déjà la lavande comme le plus puissant et le plus bienfaisant des parfums .

Dioscoride,  Pline, Scribanius mentionnent la lavande de Provence sous le nom de  Pseudo nardus

A la Cour du Roi René la lavande fourrée dans  les coussins parfumait les salons du château Royal.

Un poète de l’époque nous dit que les armoires des gentes dames cherchant à plaire au damoiseaux en étaient embaumées :

"Licts dont les draps, comme on demande,

Sentent le drap, la rose et la lavande."

 

                                                                                                                                               La Martre,  le 1er Aout 1934

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