Dans les champs et dans les bois de Notre Montagne (1933)

Sans rosée et sans lumière, les fleurs s’étiolent. La charité et l’amour, c’est la rosée et la lumière du cœur humain. Mme de Genlis

          La fenaison. – Par suite de gelées tardives, la fenaison, qui se fait ordinairement en juin, a subi, cette année, un retard considérable. Le foin est court et en moindre abondance que les années précédentes. Depuis quelques jours les faucheuses alignent des andains dans les prairies. Armées de fourches et de râteaux, les femmes du village en gracieuse et légère toilette de soleil, imitant la charmante marquise de Sévigné quand elle « batifolait », en fanant, dans les prés autour de son château des Rochers, retournent l’herbe, l’éparpillent, la font sécher. Puis les hommes, aux bras robustes, entassent le fourrage sur les charrettes qui reviennent au fenil comme des montagnes roulantes, parfumées, cahotantes, sur lesquelles sont hissés des enfants qui chantent. La tonte des moutons. – Un autre genre de fenaison se fait en ce moment sur le dos des brebis. C’est le temps où l’on dépouille de sa toison trop chaude la gent bêlante. Les marchands passent pour acheter la laine. Ils la paient de 2 Fr. 50 à 3 Fr. le kilo, poids brut.

 13 juillet

Le temps des fraises sauvages. – Les estivants ont repris leurs agréables promenades par les sentiers ombreux, frais et pittoresques de nos vastes forêts, à Brouis, à la Gourre, à Saint-Pierre-en-Demueyes et dans le Défens de Châteauvieux. En ce moment une de leurs distractions les plus charmantes est la cueillette des petites fraises sauvages dont ils font amples provisions. Le long des ruisseaux, dans les fourrés profonds, parmi les mousses, les épines et les ronces elles se cachent comme des violettes. Les yeux exercés ne tardent pas cependant à découvrir sous l’ombre mystérieuse des buissons une multitude de petits points rouges comme des bouts de trèfle au vif incarnat. La chair de ces petits fruits sauvages est d’une acidité succulente. Il n’est pas rare de rencontrer dans les bois, au bord d’une verte fontaine le couple des amants heureux, chanté par Pierre Dupont, détachant délicatement pour en former de jolis bouquets, les petites branches de fraisiers chargées de petites fraises roses et verdelettes au parfum suave.

30 juillet.

La moisson autrefois et aujourd’hui. – La Martre et Châteauvieux sont les communes les plus élevées du Var, à une altitude moyenne de 1080 mètres. Le froid y persiste plus longtemps. Alors que partout ailleurs le blé est déjà fauché depuis plusieurs semaines, ici la moisson commence à peine. Ces dernières années, elle a même subi un retard régulier d’une dizaine de jours. Autrefois, dans ce pays, la moisson battait son plein autour du 29 juillet, fête de Ste Marthe. Le romérage consacré à cette sainte était, dans notre région, la grande fête des moissons. Nombreuses, les « socques », équipes de quatre ou cinq moissonneurs, venus de la plaine, se réunissaient ce jour là à la Martre, où l’on faisait bombance. Le matin, la procession votive, précédée du tambourin, se déroulait par les chemins du village, escortant la statue dorée de la sainte et de sa fidèle tarasque, portée sur les fières épaules de quatre belles luronnes en voile blanc. Après-midi, sur la place, le vibrant galoubet, entrecoupé de tutu-pan-pan, entraînait en danses et farandoles les jolies montagnardes à la taille souple et aux joues fraîches, avec leurs fringants cavaliers les rudes moissonneurs au cou bronzé et aux muscles puissants. « Chez la Roupe » et « Chez Funel », vieilles auberges populaires, on buvait ferme ; les fûts se vidaient, les têtes s »chauffaient et, finalement, on en arrivait à ces traditionnelles batailles entre moissonneurs Callassens et  gens du pays, pugilats parfois sanglants, qui mettaient en évidence les « fiers à bras » et les « riches en gueule ». La nuit calmait tout. Le lendemain, à l’aube, sur les pentes et dans les vallons, les chants des coupeurs de blé et des charmantes ramasseuses, montait joyeux dans l’air pur, pendant que les faucilles, bien aiguisées, miroitaient au soleil entre les épis d’or. Aujourd’hui, plus de chansons. Le matin, quand la caille a jeté son cri en cascade, on n’entend plus dans les champs que le dur bruit d’acier de la moissonneuse-lieuse, abattant les tiges derrière deux chevaux paisibles, qu’un homme assis et solitaire, conduit avec de longues guides. Vers midi, quand a cessé le tic-tac mécanique, une plainte aigue et brève vient du blé non encore coupé, qui crépite au grand soleil. Plus de fête des moissons. Le dimanche de Ste Marthe est semblable aux autres jours dans le village aux rues désertes. Plus de procession. Plus d’auberges bourdonnantes et joyeuses. Rien que le silence et le morne accablement caniculaire.

9 août.

Le temps des framboises. – Parmi les produits de la vaste forêt de Brouis, les framboises qu’on y cueille à l’époque des blés mûrs ont une renommée très ancienne et d’un large rayonnement. Déjà, en 1784, dans son Histoire Naturelle de la Provence, le docteur Darlue, de Marseille, en mentionnait la saveur unique. Cette année, la fraîcheur printanière prolongée jusqu’à ces jours derniers leur a été particulièrement favorable. Ainsi elle est superbe l’éclosion des baies pourpres à l’ombre ? tachée de soleil sous les hêtres et les sapins. Chaque jour, le col du Clavel à la Pointe de Picauvet, on rencontre des groupes joyeux qui parcourent les bois en cueillant les petits fruits parfumés. Vers midi, ces moissonneurs de fraîches friandises se réunissent en pique-niques sur la mousse, au bord des ruisseaux, et l’on entend des rires féminins, des voix gracieuses s’interpellant à travers la forêt, puis des fusées de chansons, des cascades de gaieté s’envolent d’écho en écho jusqu’aux Gorges Sauvages qui enserrent la mystérieuse Artuby. Le soir venu, les autos chargées de paniers bien remplis emportent un peu dans toutes les directions ce peuple heureux avec son butin de succulentes douceurs.

12 août. 

Battage et foulaison. – Voici venu le temps de la foulaison. On ne voit presque plus dans nos campagnes, au grand soleil de messidor, des chevaux tournant, deux à deux, sur les gerbes déliées autour d’un homme qui les excite de la voix et du fouet, pendant que leur lente marche en rond écrase les épis et fait sortir, sous leurs sabots, le pur froment qui nourrit l’humanité. Le battage mécanique a remplacé la foulaison. Depuis quelques jours, à Bagarron, au Colelt, à la Chaylane, le sourd bourdonnement des batteuses parle du progrès scientifique enfin parvenu jusqu’à nos lointaines montagnes. Entre deux hautes meules de gerbes, une grosse machine poussiéreuse, aux aspirations rauques, fait entendre le crissement de ses roues, le frottement de ses courroies, le grincement de ses batteurs. Ce monstre mécanique engloutit les gerbes, crache le grain d’un effort puissant et continu, crache la paille à grands jets pressés et rapides. Pour servir la bête de fer, une douzaine de vigoureux travailleurs se démènent dans la poussière et dans le bruit, sous l’accablement oppressif des heures chaudes. La sueur coule abondante sur les visages et forme avec la poussière, une glu pâteuse et noirâtre qu’il faut essuyer de temps en temps pour ne pas être aveuglé. Ainsi, en quelques heures, nos agriculteurs peuvent remplir leurs greniers avec un beau grain, bien propre, bien sec, qui est particulièrement abondant, cette année. Il y a peu de temps encore, ce travail exigeait de longues semaines de foulaison et souvent la pluie nuisible au blé mal couvert, occasionnait des retards préjudiciables aux cultures suivantes.

23 août.  

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