Un aumônier militaire français témoin du drame arménien.

Deux importants ouvrages ont été écrits sur la vie de Jules Chaperon, il nous a paru utile de mieux les faire connaître. Nous commençons donc par le plus ancien publié en 1996 sous la direction de l'abbé Raymond Boyer et qui, à partir des carnets quotidiens de l'abbé Jules Chaperons, apporte un témoignage poignant sur le drame arménien.
Nous vous en présentons quelques extraits:
Abbé Raymond BOYER Un aumônier militaire français Témoin du drame arménien Journal de l'Abbé CHAPERON (Cilicie 1920 – Constantinople 1921-1923)
Extrait 23 novembre 1922. Makrikeuy 
Une religieuse arménienne, Sœur Suzanne, va à Constantinople à la recherche d'une de ses sœurs arrivée hier soir avec une caravane de réfugiés angoriotes. Ainsi, pendant qu'Ismet Pacha proclame solennellement à Lausanne la libérale protection de son gouvernement sur les minorités de races non musulmanes, la capitale de l'Anatolie expulse brutalement les catholiques deux fois protégés en principe par la France et par le Saint-Siège.
Mention d'une orpheline de 13 ans dont les parents ont été massacrés à Djéra, près de Brousse en septembre dernier. Sœur Joséphine l'avait recueillie dans la foule des réfugiés arméniens campés sous la tente à Ortakeuy. 24 novembre 1922. Makrikeuy
La sœur de Soezur Suzanne, avant la guerre, était riche. Mariée à un bijoutier d'Angora qui possédait trois magasins de bijouterie, horlogerie, phonographes, etc…elle possédait aussi une belle ferme dans la campagne d'Angora. En 1915, son mari fut appelé à la préfecture; derrière lui, les agents fermèrent ses trois maisons après en avoir expulsé sa famille et le personnel. Ce pauvre homme fut emmené derrière une montagne et massacré. Sa femme et ses trois enfants, 1 garçon de 9 ans, un autre de 4, une fillette de 2 furent déportés à Koniah.
Les Kémalistes ne font pas partir les Arméniens qui veulent rester, mais ils les tracassent sans cesse. C'est le régime de la terreur. Le curé catholique a été pendu pour n'avoir pas fêté dans son église la prise de Smyrne.. On a commencé par le rouer de coups pendant 3 jours, puis on l'a pendu.
30 novembre 1922. Makrikeuy Lu dans un journal l'existence à Constantinople d'un complot arménien destiné à contraindre les puissances alliées à une intervention. On cite un tas de noms arméniens. Rien ne va à Lausanne. Poincaré semble avoir changé son fusil d'épaule. Il a répondu assez vertement à Hamid bey, qui était allé le trouver à Paris. 2 décembre 1922. Makrikeuy Arrive le Père Lamerand. Il est venu de Brousse avant-hier avec les orphelines arméniennes des sœurs de St-Vincent de Paul. Les Turcs n'en veulent plus. On les a remises aux sœurs de Sak-Zaaleh qui les emmènent en Italie dans une maison de campagne du pape, à Castel Gandolfo. Le Père Lamerand arrivant de Brousse donne des détails sur l'exécution du neveu de Mgr. Bahabanian, évêque de Brousse. Le neveu de Mgr. Bahabanian a été condamné pour avoir participé à un cortège en l'honneur de l'indépendance de l'Ionie. Il était curé de Brousse. On l'a massacré un dimanche matin dans un faubourg de Brousse. Le Père Lamerand, parqué dans la zone comme les autres Français n'a pu assister au massacre, mais son domestique y était et a photographié le cadavre du pauvre prêtre. On a commencé par lui couper les mains et les pieds; ensuite, d'un coup de massue, on lui a broyé le thorax. Ainsi mutilé, pendant qu'il criait encore, on l'a jeté dans une fosse n'ayant pas 30 cm de profondeur. Là, on l'a recouvert à moitié de terre. Il soupirait encore. Un Turc lui a asséné un coup de matraque sur le crâne et l'a laissé ainsi. 13 décembre 1922. Makrikeuy Encore de pauvres gens à ma porte. C'est d'abord une jeune Arménienne d'Eski-Chéir… Elle demande du secours pour ne pas mourir de faim et de froid. C'est une jeune personne de 18 ans. Elle veut à tout prix me montrer sa jambe couverte de grosses cicatrices. Elle a été lardée de coups de couteau par un soldat turc. 14 décembre 1922. Makrikeuy Hier, le "Canada", pavillon français, est parti pour l'Amérique emmenant 3000 orphelins arméniens. En même temps, un cargo hellène emmenait en Grèce 2000 orphelins grecs et arméniens. 18 mars 1923, Makrikeuy Kambourian a fait porter chez moi un stock de brochures arméniennes dénonçant les atrocités turques. Si la police kémaliste trouvait chez un Arménien cette publication, aussitôt l'individu et les auteurs ou éditeurs seraient incarcérés puis pendus. Je dis aux sœurs d'embarquer ce colis à destination de la France avec leurs enfants, puisque c'est l'évêque Bahabanian qui a fait éditer la brochure. Elles me supplient de ne pas le faire, car elles ont trop peur des Turcs. Rentre chez moi à 8 heures. Sœur Suzanne est allée à Constantinople embarquer les colis sur l'"Ionie".
2 avril 1923. Makrikeuy
(L'abbé Chaperon déjeune chez les Pères Assomptionnistes, à Constantinople. Un vieux frère lui raconte comment quelquefois, durant ses promenades, il a rencontré des Turcs qui voulaient lui vendre des femmes, des Arméniennes capturées au moment des massacres. "Il prétend qu'en 1896, Abdul Hamid a fait massacrer 120 000 Arméniens à Constantinople en 5 heures".Un Franc" avec sœurs Suzanne, Julienne et Euphrasie. Nous réglons nos comptes avec Kambourian pour l'envoi en France du personnel ci-après:Acturus le 28 courant.(c'est un passeport collectif dont l'original a été retrouvé. Il comporte en 2 feuillets dactylographiés la liste des réfugiés: les noms des 25 orphelins, suivis de leur âge, sont accompagnés d'une petite photographie. Au verso du second feuillet est apposé le sceau du Consulat de France à Constantinople. Ce passeport est daté du 24 septembre 1923. Ce même jour, les réfugiés se sont embarqués à bord du Tourville, accompagnés par l'abbé Chaperon; ils sont arrivés à Marseille le 4 octobre. Ils ont été hébergés dans les locaux de l'œuvre Notre-Dame de la Montagne, à Grasse, puis à la Martre.) Fin du Journal. Extrait du livre de Raymond Boyer publié en juillet 1996 par L'Institut Euro-méditerranéen pour l'Arménie. L'abbé Chaperon fut un intrépide fondateur et animateur d'un orphelinat de garçons arméniens en lendemain du génocide. 24 avril 1923. Makrikeuy Les religieuses arméniennes de l'orphelinat me disent qu'elles ont pavoisé aux couleurs turques en pensant que leur abstention pourrait entraîner pour elles les conséquences atroces qui amenèrent la mort du neveu de Mgr. Bahabanian à Brousse. Je leur fais remarquer que cette étoffe rouge des Turcs aux fenêtres des Chrétiens, c'est le spectre du sang des massacrés. 29 avril 1923. Makrikeuy Le patriarche arménien de Constantinople me demande de l'aider à placer 75 orphelins expulsés d'Angora par les Turcs et abandonnés par la charité américaine à la date du 1er mai. Je promets de leur chercher un asile. 19 juillet 1923. Makrikeuy On me présente une femme de 30 à 35 ans. C'est une Arménienne seule au monde. Elle est en ce moment ménagère chez deux vieux messieurs. Après l'avoir violée, les Turcs la reconduisirent dans un champ de massacre, la mirent nue, lui percèrent la poitrine à coups de baïonnette et la laissèrent pour morte parmi les cadavres. La nuit suivante, une Arménienne alla prendre la pauvre blessée, la garda chez elle, la soigna et l'envoya à Makrikeuy après guérison. 30 juillet 1923. Makrikeuy Le frère de Grégoire Bahabanian, évêque de Césarée, est maintenant à Marseille où se trouve une importante colonie d'Angoriotes. Le 28 de ce mois, 550 Arméniens se sont embarqués pour la France à bord du "Souria". 23 septembre 1923 Etabli des passeports pour 25 enfants, 5 religieuses et une veuve, que j'emmène en France.  

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