La création de l’oeuvre Notre-Dame de La Montagne (1912)

orphelinat Notre Dame de la Montagne En 1911 l'abbé Jules Chaperon acquiert une vieille maison de paysan  surplombant le village de La Martre, il y réalise d'importants travaux pour la restaurer et y abriter son oeuvre. Le texte ci-dessous retrouvé dans le livre d'or de l'association, écrit par l'abbé Jules Chaperon, est le témoignage historique et social d'une époque difficile où l'enfance défavorisée a peu d'aide (un enfant de treize ans était considéré comme apte à exécuter des travaux dans une famille en milieu rural). C'est aussi le récit de la création d'une oeuvre qui se développera et viendra en aide à des centaines d'enfants pendant 40 ans. Au début réservée aux filles, elle accueillera par la suite également des garçons ainsi que quelques personnes âgées.  En 1921 elle  prendra en charge de nombreux enfants arméniens rescapés du génocide et rapatriés sous la responsabilité de l'abbé. Texte de l'abbé Jules CHAPERON (écrit en 1912). "Plusieurs fois déjà, nous avons incidemment entretenu nos chers lecteurs de notre projet de créer à La Martre un asile pour l’enfance délaissée. Ce rêve est maintenant réalisé. Une vieille maison paysanne cachée à l’ombre d’un marronnier séculaire et de quelques grands tilleuls a été aménagée d’après les règlements de l’hygiène officielle et aussi confortablement que possible pour abriter l’enfance de quelques  orphelines choisies parmi les plus abandonnées. Certes les institutions charitables entretenues par l’état ou pieusement subventionnées par l’inépuisable charité chrétienne ne manquent pas. Cependant il y a encore sur le pavé des rues ou au fond des infects taudis de nos grandes villes des milliers et des milliers d’enfants qui s’étiolent et meurent lentement de misère. Tous les orphelinats regorgent et refusent des demandes. La première est la plus facilement recueillie. De nos jours on multiplie les crèches, pouponnières et autres refuges de ce genre. Mais lorsque le bébé est revenu à la santé, ces établissements ne le gardent plus. On semble lui avoir rendu la vie que pour mieux le perdre.

A douze ou treize ans, quand l’enfant est capable d’apprendre un métier et de gagner quelque chose, il trouve sans peine une maison qui le reçoit. C’est de cinq à treize ans qu’il est le plus difficile de placer les pauvres petits abandonnés. Notre humble maison de  La Martre s’est donné pour but de recevoir des fillettes abandonnées pendant cette période qui demande tant de soins et de saine nourriture.

Que faut-il pour être admis à l’orphelinat de La Martre ?

Il faut n’avoir pas trouvé de place ailleurs et être complètement abandonné. A ceux qui nous confient des pupilles nous ne demandons rien pour la nourriture et l’entretien.

Mais alors, va-t-on nous répondre, il est donc bien vrai que vous êtes riche comme Crésus, puisque vous ne demandez rien ! Notre richesse est celle de Saint Laurent, elle se compose uniquement d’indigence. Grâce à quelques aumônes charitables et à la libéralité d’un bon propriétaire de La Martre qui a bien voulu nous vendre avec crédit à long terme la maison de l’Orphelinat, nous avons pu au prix de sacrifices aussi écrasant qu’inconnus ouvrir ce nouvel asile de la charité. Pour le présent et l’avenir, nous avons foi en la divine Providence.

Cette enfance aveugle, la sagesse humaine a toujours été incapable de la comprendre et elle ne peut que la taxer de folie. Déjà au temps de Saint Paul, on appelait les gens de notre espèce des insensés : nos insensati propter Christum. Ce serait bien mauvais signe, si le monde égoïste applaudissait à notre entreprise.

Tous les apôtres de la charité chrétienne ont commencé avec rien, entre les mains de la Providence leurs œuvres sont devenues merveilleuses. La nôtre vient de naître, c’est la plus petite entre les plus pauvres, elle deviendra ce que le Bon Dieu voudra. Nous n’avons qu’une ambition, arracher le plus possible d’enfants à la misère, aux maladies consomptives et au vice. Les élever en les préparant de notre mieux à entrer bien armés dans cette grande bataille qui s’appelle la vie.

Depuis samedi dernier, 21 juin et fête de saint Louis de Gonzague, quelques fillettes marseillaises prennent leurs ébats dans nos près autour de cette maison de la Providence qui est maintenant leur unique foyer. Elles ont été recueillies par le saint abbé Fouque que la reconnaissance a surnommé avec raison, le Saint Vincent de Paul marseillais. Ces petites nous sont arrivées bien chétives et bien pâlottes ; le grand air de nos montagnes, notre climat vivifiant et une nourriture saine et abondante, donneront bien vite des couleurs à leurs joues amaigries. Quoique très pauvre, avec son mobilier extrêmement sommaire l’Orphelinat de La Martre leur semble un palais à côté des torrides et nauséabondes mansardes où, pauvres petites fleurs sans rêves, elles végétaient tristement.

Les lecteurs de Notre Montagne forment une grande famille, nous savons que chacun d’entre eux porte un intérêt tout spécial à nos œuvres. Nous osons leur demander une part d’adoption dans leur charité pour nos pauvres petites. Que ceux qui ont des armoires remplies de linges regardent s’il n’y trouverait pas pour l’orphelinat de La Montagne quelques vieux draps râpés, troués peu importe, quelques serviettes ou essuie-mains hors d’usage, quelques lots de vêtements d’enfants.

Tout nous manque, nous serions très heureux de recevoir même des paquets de guenilles. Les lits du dortoir sont neufs mais la plupart n’ont encore ni matelas, ni draps, ni couvertures. Qui donc nous donnera une poignée de crin ou de laine et quelques pans d’étoffe pour coucher nos bambins ? Trois personnes qui ne veulent pas être nommées nous ont déjà quelque peu aidé. Qu’elles trouvent ici l’expression de notre profonde gratitude.

L’Orphelinat Notre Dame de la Montagne a besoin de tous les amis de notre cher petit journal. Il voudrait être l’œuvre de tous et de chacun d’entre eux. Permettez-nous, chers amis, de compter sur votre charitable dévouement.

Comme le reboiseur obstiné qui s’aide à recouvrir de verdure des collines arides, nous avons au cours de ces dix dernières années enraciné dans notre sol rude et ingrat une série d’œuvres bienfaisantes aujourd’hui assez prospères. Nous venons de planter un arbre nouveau destiné à produire des fruits de la charité.

Sous la protection de Notre Dame de la Montagne et avec l’aide des amis de ce journal nous ferons tous nos efforts pour que cet arbre nouveau devienne superbe en hauteur, riche en verdure, ample en ses branches, fertile avec ses fruits afin qu’à son ombre viennent s’abriter de plus en plus nombreuses, de pauvres petites filles frappées prématurément par l’épreuve, soit pour y trouver une vie nouvelle, soit pour s’y développer en paix et grandeur dans la douce et forte clarté de l’Evangile.

 Jules CHAPERON